Complexité des mots
S'il est une notion difficile à cerner, c'est bien celle de "complexité des mots", car répondre à cette notion par une définition revient à expliciter en partie les causes d'erreurs de lecture.
Cette "complexité des mots" est à comprendre comme une complexité intrinsèque aux mots eux-mêmes, c'est-à-dire leur structure visuelle et phonologique.
1) au niveau visuel, on peut retenir :
a) une complexité linéaire (syntagmatique) : c'est la longueur du mot, son nombre de "lettres".
On sait que l'empan visuel du lecteur n'est pas extensible, et que sa limite supérieure lors d'une fixation de l'oeil peut atteindre seulement sept "lettres". Au-delà, et souvent même en deçà, il y a des saccades, voire des balayages, pour parcourir la totalité du mot.
b) une complexité orthographique (ou paradigmatique) : c'est le découpage en une structure graphémique. Ainsi, les graphèmes formés de digraphes ("au, in, en, ...") ou de polygraphes ("eau, aim, amp, ...") sont bien évidemment plus complexes que des monographes ("o, i, f, ...").
2) au niveau phonologique, on peut noter :
a) les contraintes articulatoires : la structure syllabique habituelle est CV (attaque consonantique + rime vocalique). Un pseudomot comme "apra" est alors plus complexe que "para", car il possède la structure V+CCV au lieu de CV+CV. Ici, à la cassure de la régularité syllabique, s'ajoute la branchante "pr" (CC) qui exige un effort articulatoire plus important.
b) les fréquences des groupes phonémiques : à la lecture d'un mot, le lecteur s'attend à une régularité (loi d'économie de l'effort) et, après une consonne, envisage dans son répertoire phonologique une suite habituelle. Par exemple, après /p/, il y aura plus probablement /R/ que /s/, car la branchante /pR/ est (sept à huit fois) plus fréquente /ps/.
Un mot sera donc également plus complexe si ses constituants phonémiques sont agencés de façon moins prédictible. La fusion sera par là-même plus difficile.
En définitive, la complexité des mots est proportionnelle à l'écart entre, d'une part, les mots de bonne famille, petits, réguliers, simples, et fidèles aux principes basiques (structurels) de leur langue mère, et, d'autre part, les mots infidèles, longs, irréguliers, compliqués, qui s'éloignent de la matrice du mot basique.
Si l'enseignant veut fonder une progression sur le code alphabétique, il aura tout intérêt à utiliser une "complexité des mots" croissante : "toto" aura plus de réussite que "totaux" car visuellement il est plus petit (nombre de "lettres" inférieur), et plus simple (le graphème "o" est plus immédiatement accessible que le graphème "aux").
De même, "purée" sera plus digeste que "après", car phonologiquement plus régulier (CV+CV au lieu de V+CCV), et plus facile à dire (absence de branchante).
Finalement, pour l'apprentissage de la lecture, la progression dans la complexité des mots doit être ... progressive !