Les progressions dans les manuels de lecture : un point de vue différent.
Résumé
L’acquisition de la lecture s’appuie sur la reconnaissance du code écrit. Les manuels scolaires offrent donc à voir des progressions susceptibles de faciliter la tâche de l’enseignant. Mais ces outils sont-ils les plus adéquats pour les élèves ?
Que penser de manuels qui présentent chacun une progression différente ? Quels critères ont motivé leurs auteurs : une certaine idée de l’importance de chaque lettre et polygramme ? Un souci de calquer l’ordre d’apparition des sons dans le langage naturel enfantin (ontogenèse) ? Ou bien seulement le souci de ressembler (mais pas trop) aux progressions déjà existantes ?
Cette étude tente de répondre à ces quelques questions, et propose une progression qui s’appuie sur un travail statistique qui tient compte à la fois des textes offerts aux élèves en classes, et des observations quantifiées qui en résultent.
OBSERVATION :
le contenu de cet article a été refondu pour une publication dans l'ouvrage collectif de l'Observatoire National de la Lecture, paru chez Hatier (ONL / CNDP / Savoir Livre, septembre 2003), Le Manuel De Lecture Au CP (pp. 240-251).
1. INTRODUCTION
La lecture des textes imprimés a commencé dans la seconde moitié du 15ème siècle, avec un interlignage plus petit, des textes plus denses. La lisibilité est devenue un souci majeur grâce aux efforts des imprimeurs humanistes au début du siècle suivant, mais la simplification de l’orthographe fut entravée par la force des traditions défendues par les latinistes, et par l’aspect fonctionnel de certaines graphies qui permettaient d’éviter les pièges homonymiques. Robert Estienne, au 16ème siècle, eut sa part de responsabilité dans cette complexité, source aujourd’hui de difficultés dans l’apprentissage de la lecture.
La lecture pour le plaisir et la lecture pour l’information attendront la fin du 18ème pour s’éveiller et progresser, avec un lent passage de la lecture oralisée à la lecture silencieuse. Cependant, la lecture aujourd’hui, après des siècles de pratiques, pose toujours des problèmes d’apprentissage. Qui plus est, les performances en lecture seraient de nos jours moins élevées chez les enfants à la fin de l’élémentaire (échec en lecture pour dix pour cents des enfants des classes de sixième, Direction de l'Evaluation et de la Prospective, MEN, 11 octobre 1993).
L’apprentissage de la lecture sur le plan mécanique requiert bien entendu des capacités intellectuelles que des troubles éventuels peuvent ralentir (par exemple l’alexie littérale où les lettres sont mal identifiées, la paralexie où l’à-peu-près domine au niveau du mot). La complexité des phénomènes, les causes et les disciplines concernées (psychologie, neurobiologie, physiologie...) sont tellement nombreuses et complexes qu’une étude générale serait prétentieuse.
Le propos de cette étude est plus simple, même si le travail qu’elle a engendré fut long et méticuleux. Il s’agit de déterminer quelle progression o (et non quelle méthode) on peut proposer aux enfants apprentis lecteurs pour surmonter plus facilement les incongruités de l’orthographe française.
2. PÉDAGOGIE OU DIDACTIQUE ?
Les manuels de lecture offrent chacun une progression que l’on peut consulter dans les tables des matières. Mais que penser devant autant de progressions différentes ? Les méthodes utilisées ne seront pas considérées ici, car l’aspect pédagogique est un sujet trop délicat et peu quantifiable. Chaque école de lecture, du global au syllabique en passant par les méthodes mixtes, a ses qualités et ses faiblesses. Les manuels de lecture doivent toujours conserver leur totale liberté pédagogique, c’est-à-dire le choix de la méthode. La querelle, ancienne, n’est pas finie, et, au-delà des joutes de pédagogues, Marie-Joëlle Bouchard (1991) a bien montré que "l’enfant procède donc à différents moments à différents types de lecture : - par émission d’hypothèses sur le sens de l’écrit, - par identification globale de mots ou de structures, - par anticipation sur le sens des mots inconnus, - en utilisant le système de référence constitué par les prénoms et mots mémorisés, - avec repérage partiel, - avec correspondance grapho-phonologique au niveau des voyelles, - avec correspondance grapho-phonologique au niveau des syllabes, - avec correspondance grapho-phonologique au niveau des consonnes, - enfin avec possibilité de combinaison des consonnes et des voyelles".
L’aspect didactique me paraît plus neutre, et aux combats des pédagogues sur les façons d’enseigner la lecture il serait plus méthodique de considérer d’abord ce sur quoi doit porter cet enseignement, i.e. le matériel de base que sont les signes, matériel utilisé comme outil concret. Cet outil sera présenté dans cet article sous la forme d’une progression (appelée progression visuelle ajustée), établie sur une étude statistique très large (6.555.493 caractères, plus de 3200 pages).
2.1. UNE PROGRESSION : POUR QUOI FAIRE ?
Le but est de mettre au point une progression des lettres et polygrammes résultant d’une part de leur fréquence visuelle, et d’autre part de leur fréquence sonore. J’ai délibérément travaillé sur un corpus important pour trouver une constante (même s’il s’agit de fréquences relatives) et donner aux résultats une valeur fiable. Les textes retenus (voir liste en annexe) sont puisés dans les différents genres que peuvent rencontrer les apprentis lecteurs : poésies, recettes de cuisine, romans, documentaires, etc.
2.2. DIFFÉRENTS TYPES DE LECTURE.
Cette diversité des textes permet de prendre en compte un corpus réellement présent dans les classes, et qui répond à des stratégies de lecture différentes. Sylvia Wehrheim (1976) avait déjà noté l’importance de cette diversité : "l’acte de lire ne consiste pas, cependant, en un simple décodage. Il y a en effet, différents types de lecture qui sont fonction du document que l’on est en train de lire : la lecture d’un dictionnaire demande la mise en marche de tout un processus d’ordre (ordre alphabétique, écriture de gauche à droite, ordre alphabétique appliqué à la première lettre du mot, puis à la deuxième...) ; la lecture d’un formulaire à remplir implique la réponse à des questions précises qui touchent en général à la personne même et provoquent des réactions affectives (demande de carte de travail pour un étranger...) ; la lecture d’une suite d’instructions portées sur une fiche de mathématiques ou sur une recette de cuisine, transforme une succession d’informations en action ; la lecture pour l’information qui, elle, répond ou ne répond pas aux questions que le lecteur se pose lui-même".
On peut préciser qu’avant les stratégies de lecture adaptées à chaque type de texte, même si ces stratégies sont encouragées et développées à juste raison par les enseignants, existe un décodage mécanique, fonctionnel, qui met en jeu de complexes opérations oculaires et cognitives. Ce présent article ne décrit pas ces opérations, mais il s’inscrit toutefois dans les phases logographique et alphabétique de l’apprentissage de la lecture (voir pour plus de précisions sur ces notions l’article de Jean-Émile Gombert, 1993).
2.3. DIFFÉRENTES PHASES DE LECTURE.
À la fois enseignement et acquisition (voire développement, si un substrat génétique existe comme cela pourrait être le cas du langage pour Chomsky) l’apprentissage de la lecture met en jeu trop d’activités pour être confié aux seules progressions des manuels. D’autres disciplines se sont intéressées à ce problème, et ont apporté des connaissances essentielles.
Les nombreux travaux sur les mouvements oculaires ont démontré que même un lecteur expérimenté fixe les mots un par un, et seuls les mots fonctionnels peuvent parfois être ignorés. Seul le temps de fixation diffère selon les mots. En déplaise aux disciples de Foucambert, la lecture globale est une vue de l’esprit. À plus forte raison, l’apprenti-lecteur, dès lors qu’il a atteint une conscience phonologique, essaie d’établir des corrélations entre les lettres qu’il voit et les sons associés. Ce mécanisme, tourmenté par les graphies alambiquées du français ("eau", "ein", "ez", "oeu",...) correspond à une phase alphabétique. Pour mémoire, trois phases sont actuellement admises : la phase logographique où un mot est vu comme une image, la phase alphabétique, et la phase orthographique.
Cet adjectif, "alphabétique", ne me paraît guère approprié, et je lui préférerai celui de "grammatique" pour éviter la confusion fréquente entre "lettre de l’alphabet" ("f" [E f ], "u" [y], "y" [i g Ò E k ]) et "lettre de l’écrit" (grec gramma). Cette remarque vient de la conviction qu’il ne faut pas voir les lettres d’un texte avec les yeux d’un adulte, mais avec ceux d’un enfant pour qui chacune de ces lettres n’est pas encore (et en aucun cas spontanément) une lettre alphabétique, mais un signifiant visuel auquel, avec l’expérience, il associera un son. D’ailleurs, il existe le cas de dyslexiques qui n’arrivent pas à symboliser le signifiant visuel et à lui associer un signifiant sonore pour arriver au signifié, preuve qu’entre la lettre et le son il n’y a pas d’inférence naturelle, mais conventionnelle. Si l’on peut parler du développement du langage, il faut au contraire parler de l’acquisition de la lecture.
Le terme "grammatique" permettrait ainsi de différencier deux approches didactiques : celle de l’enseignant qui oublie l’arbitraire du signe (on parle alors de phase alphabétique) et celle de l’enseignant qui n’oublie pas que l’enfant apprenti-lecteur débarque littéralement dans un monde arbitraire (on parlera alors de phase grammatique). Cette définition explique mon souci d’opter pour une progression qui privilégie la vue sur le son, ce que l’on voit sur ce que l’on entend.
3. DES PROGRESSIONS SONORES PAS VRAIMENT SONORES.
Depuis trente ans, les pédagogies s’appuyaient sur le postulat que la langue possédant un système phonologique (en cela rien à dire) il fallait donc prendre conscience de ce système pour apprendre à lire. Mais cette induction est très discutable, car c’est confondre l’apprentissage de la langue parlée avec celui de la langue écrite, et les deux codes sont très différents. Pour écrire, il faut coder un message verbal. Pour lire, il faut décoder un message écrit. Mais ce dérapage ne s’arrête pas là. En effet, nous allons voir qu’aucun des manuels ne respecte la fréquence des phonèmes en français publiée par Jean Peytard et Émile Genouvrier (1970), ou même celle plus récente de François Wioland en 1985 et 1991 cité par Pierre R. Léon (1992).
Voici la comparaison de différentes progressions avec celle, sonore, de Genouvrier et Peytard (nota : j’ai associé [A ] et [a], la distinction devenant de plus en plus insignifiante entre alvéolaire et palatale) :
(Tableau 1 : représentation en courbe des fréquences relatives sonores selon Peytard et Genouvrier ; tableau 2 : comparaison de la progression du manuel Au Fil Des Mots, avec les fréquences sonores de Genouvrier et Peytard ; tableau 3 : idem, pour le manuel Abracadalire ; tableau 4 : ibidem, pour le manuel Gafi ; tableau 5 : pour le manuel Ratus et ses amis ; tableau 6 : pour le manuel Les Cahiers Hatier ; tableau 7 : pour le manuel Graphilettre ; tableau 8 : pour le manuel Lecture à croquer ; tableau 9 : pour le manuel J’entends et je vois ; tableau 10 : pour le manuel La journée des tout petits ; tableau 11 : pour le manuel Daniel et Valérie.)
4. FRÉQUENCES VISUELLES CONSTATÉES.
Dans l’apprentissage de la lecture le sens et la signification d’un texte n’ont pas l’importance qui leur revient normalement auprès des lecteurs confirmés. Je me contente ici des phonèmes et des graphèmes (les cénématèmes de Hjelmslev L. 1985), sans m’inscrire dans la guerre des méthodes, que plusieurs auteurs ont souvent dénoncée, en particulier J.N Lalande dans un excellent résumé sur ce sujet en 1985. Je souhaite seulement que ce travail puisse servir d’outil aux didacticiens et pédagogues pour l’élaboration de manuels de lecture. Cet outil ne prétend pas remplacer une méthode (ce n’en est pas une) ou résoudre les difficultés de la combinatoire d’une langue française parfois compliquée ("ent" : [« ] ou [A))] ?), car la lecture ne s’arrête pas au seul déchiffrement.
Annick Mauffrey et Isday Cohen (1995) l’ont rappelé en ces termes : "Comment (...) surmonter les ambiguïtés phonographiques ? Comment distinguer entre graphèmes idéographiques et graphèmes phonographiques ? Ce n’est que lorsque l’enfant de C.P. n’oralise plus [A))] la terminaison verbale de la troisième personne du pluriel que l’on peut dire qu’il sait lire. L’aspect langagier de la lecture explique cette prise de sens instantanée par le moyen d’une prise d’indices sémantiques, d’une reconnaissance sémantique des mots et d’une anticipation contextuelle", (...) "Sans rudiments de combinatoire, aucune anticipation systématique n’est envisageable, et sans anticipation immédiate, il ne peut y avoir de déchiffrement qu’avorté."
Le tableau qui suit montre les fréquences visuelles observées pour 118 expressions (avec la prise en charge des finales de mots, comme "e" ou "s" en finale absolue (-e# ; -s#) ou avant une ponctuation (-e, -e.) ) :
(Classement des fréquences visuelles brutes pour 118 items.)
4.1. PROPOSITION D’UNE PROGRESSION VISUELLE AJUSTÉE.
Nous n’écrivons pas, et ne lisons pas, le français avec la même facilité que les Italiens leur langue, par exemple, ou que les Serbes, dont l’écriture est fondée sur la commutativité "un graphème / un phonème ". Dans un article de l’Encyclopédie Universalis, Stevanovic Zoran rappelle le rôle politique de Vuk Stefanovic Karadz ic qui imposa, dans la première moitié du 19ème siècle, l’alphabet actuel de trente lettres selon son principe " É cris comme tu parles, lis comme il est écrit ". Ce principe, radicalement opposé à celui de Robert Estienne, facilite aujourd’hui la lecture de la langue serbe.
Pour le français, dont la graphie n’offre pas une telle limpidité, il est nécessaire de s’appuyer sur une progression qui présente les occurrences les plus fréquentes pour laisser en lanterne rouge les graphies les plus rares. Toutefois, il convient de tenir compte des particularités de notre langue (par exemple, le digramme "ou" sera étudié avant "j" ; ou encore "s" après "a" en dépit de sa plus grande fréquence visuelle, car nombreux sont les cas où "s" n’a pas de valeur sonore, en fin de mot particulièrement). Voici le résultat qu’on peut appeler ajusté (fréquences visuelles tenant compte des fréquences sonores), et l’on notera l’ordre un peu différent (on passe de "e s a i t n r u l o ..." à "e a n l r i t d o c ..."). On pourra me contacter par adresse électronique pour des précisions sur le programme utilisé et les détails de cet ajustement.
(Représentation en courbe de la progression ajustée servant de référence pour les tableaux 14 à 23.)
4.2. DES PROGRESSIONS DÉSORDONNÉES.
Pourquoi s’obstiner à étudier d’abord toutes les lettres de l’alphabet, puis les polygrammes, alors que les fréquences de beaucoup de celles-là sont inférieures à celles de ceux-ci (pour exemple " ou " est plus fréquent que " f ", " g ", " b ", etc.). Voici maintenant les représentations en courbes des manuels déjà cités, comparées avec les résultats du tableau 13 (la liste n’est pas exhaustive, et l’on pourra faire des constats similaires pour les nombreux autres manuels de lecture du commerce). On ne peut que constater leur très grande irrégularité :
(Comparaison de la progression de chaque manuel avec la progression ajustée.)
5. DES ASSOCIATIONS FORCÉES.
Nombreux sont les manuels dans lesquels on peut trouver d’autres aberrations : s’efforcer à enseigner que "aim" se lit comme dans "pain", alors que sa fréquence visuelle est quasi nulle (0.02 %). Cela signifie que l’on apprend à l’enfant un son pour une graphie rare qui, de plus, a généralement une autre valeur phonique. En effet, dans un ensemble de textes divers pris au hasard et totalisant 317120 lettres, j’ai dénombré 9 fois "aim", et 6 fois sur 9 ce n’était pas le son de "pain" mais [E m] ("vraiment, aimé, aime, aiment, aimées, aimant, opposés à faim, daim et Raimbaut d’Orange ! ).
5.1. DES ASSOCIATIONS EN TIROIRS.
Cette présentation en tiroirs (appelée aussi "costumes d’un son") relève d’un associationnisme précipité. Les auteurs de manuels considèrent que "an" se lit comme pour "dans", et ils décident d’étudier en même temps les autres graphies (costumes) de ce son, c’est-à-dire "am, en, em". Sous prétexte qu’il y a isophonie, les auteurs donnent à apprendre des graphies dont l’importance est très différente en occurrences d’une part ("an" se rencontre 1 fois sur 97 caractères en moyenne, et "am" 1 fois sur 543 !) et en valeur phonique d’autre part (voir plus haut "aim").
D’ailleurs, on pourrait se demander si des erreurs de lecture (observées sur le terrain) du type "jamais" lu "jan / mais" [Z A)m E ] ou encore "année" lu "an / née"[A)) n e ] avec nasalisation par agglutination visuelle de "a" et "m" pour "jamais", ou de "a" et "n" pour "année", ne seraient pas en partie le résultat de ces progressions costumées. Ces présentations en tiroirs devraient être proposées au moment de l’apprentissage de l’orthographe, lorsque l’enfant sait déjà lire, et non de façon systématique lors des premiers apprentissages de la lecture.
6. PRINCIPE DE COHÉRENCE.
Une progression sera dite cohérente si elle offre une représentation graphique décroissante sur l’axe des abscisses. Cette représentation ne peut être parfaitement linéaire, mais en aucun cas un point postérieur ne pourra être plus haut qu’un quelconque point antérieur. Les progressions des manuels examinés ici sont toutes incohérentes. Ni la fréquence visuelle, ni la fréquence sonore, ne sont à l’origine de leur élaboration. L’arbitraire semble de rigueur, même si certaines progressions ont le mérite de s’approcher des faits de langue. La tentative originale de Gafi, qui propose dès le début quelques mots outils, pèche hélas par l’irrégularité du reste. Mais là encore, il ne faut pas oublier l’aspect pédagogique essentiel, et de qualité, que l’on trouve chez les auteurs de ce manuel (en particulier Alain Bentolila, dont on peut consulter le site indispensable consacré à la lecture : R.O.L.L.). Beaucoup d’autres manuels présentent aussi de grandes qualités pédagogiques, chacun à sa façon, mais aucun ne s’appuie sur une didactique des progressions. D’ailleurs, leurs rééditions ne donnent pas toujours des progressions identiques aux progressions antérieures.
6.1. FRÉQUENCE DE MOTS.
Pour aller plus loin dans cette approche, voici le résultat d’une quantification que j’ai réalisée sur les mots les plus fréquents dans certains textes. Les items principaux peuvent s’inscrire comme vocabulaire de base dans la progression que j’ai proposée. J’ai obtenu, pour ne prendre que les vingt premiers résultats, l’ordre suivant dans chacune des quelques oeuvres intégrales ci-après :
- dans le conte "Chat et souris déménagent" : la, de, et, le chat, souris, que, à, un, il, ne, petit, tout, je, mais, pas, beurre, bien, ce, dit ;
- dans le roman "Arsène Lupin" : de, et, la, un, le, que, les, une, qui, il, pas, à, en, des, se, ce, je, dans, du, ne ;
- dans différentes pièces de Racine : de, et, vous, que, le, à, je, la, un, en, les, ce, pour, il, ne, est, mon, plus, si, qui ;
- dans un texte quelconque sur l’espace : de, la, et, des, à, les, le, un, en, sur, du, fut, une, vol, dans, deux, par, satellites, vols, programmes ;
- dans cendrillon : la, de, et, elle, les, en, à, le, qui, sa, que, ne, des, plus, un, lui, une, pas, on, ses
- dans "le Château des Carpathes" : de, la, les, le, un, à, et, des, il, en, du, au, ses, se, une, ce, qui, est, que, avec ;
- dans Barbe Bleue : de, la, et, les, le, que, à, elle, lui, ne, un, des, qui, il, était, je, sa, du, se, Anne.
En supprimant les mots particuliers aux textes eux-mêmes ("satellites" pour le texte sur l’espace, "Anne" pour le conte de Barbe Bleue, etc.) on pourrait retenir, dans l’ordre :
DE, À, ET, LA, LE, UN, LES, QUE, DES, EN, IL, NE, QUI, CE, DU, JE, UNE, PAS, SE, DANS, ELLE, EST, LUI, PLUS, SES, AU, AVEC, BIEN, DEUX, DIT.
6.2. UTILISATION ET UTILITÉ.
Il reste alors à utiliser ces trente items (on pourrait en retenir davantage) de façon progressive, intercalés dans la progression que j’ai proposée. Les enfants en situation d’apprentissage découvriraient, au fil des textes, des expressions visuelles habituelles, propices à limiter les situations d’échec lorsqu’ils entrent dans le monde des signes. Cet outil permettrait d’arriver plus vite, et plus sûrement, à la lecture, telle que la définissent Jean-Michel Mazaux et Jacqueline Guégan (1990) : " activité psycho-sensorielle qui vise à donner du sens à un ensemble de signes graphiques recueillis par la vision pour comprendre l’idée ou suivre le déroulement de la pensée de l’auteur de ces signes ".
7. CONCLUSION.
Apprendre à lire aux enfants est un métier très difficile. Un public varié (des enfants éveillés, d’autres moins, certains avec une mémoire à prédominance visuelle, et pour d’autres, sonore), un terrain miné (l’écriture de la langue française, et sa lecture, sont pleines d’embûches), des outils artificiels (on l’a vu pour les progressions des manuels scolaires), des méthodes opposées (globales, mixtes, syllabiques,...) sont autant de raisons qui déroutent des enseignants. Certains d’entre eux, véritables artisans, choisissent de façonner chaque année un enseignement sans manuel scolaire, avec pour seuls textes ceux dictés par les enfants. Ils utilisent par là-même un vocabulaire quotidien, mais le besoin de s’appuyer sur une progression visuelle (ajustée) reste présent. Celle que j’ai proposée pourrait répondre à leur attente, mais aussi faire partie intégrante de tout manuel de lecture, quelle que soit la méthode d’apprentissage retenue par l’enseignant, car s’il doit y avoir une constante sur laquelle les chercheurs et les praticiens peuvent s’accorder pour l’apprentissage de la lecture, c’est celle des expressions les plus communes que l’enfant rencontrera.
BIBLIOGRAPHIE
BOUCHARD (Marie-Joëlle) : " Apprendre à lire comme on apprend à parler ", Paris, 1991, 174 p, pp.145-146, Collection Pédagogies pour demain. Didactiques. Isbn 2-01-018322-3 ;
GOMBERT (Jean-E mile) : " L’apprentissage de la lecture : apports de la psychologie cognitive " in L’enfant apprenti lecteur, sous la direction de Gérard Chauveau, Martine Rémond et Eliane Rogovas-Chauveau, L’Harmattan, Paris, 1993, Collection CRESAS n°10 ;
HJELMSLEV (Louis) : Nouveaux essais, Paris, Presses Universitaires de France, 1985, 207 p, Collection Formes sémiotiques, Isbn 2-13-038827-2 ;
LALANDE (Jean-Noël) : L’apprentissage de la langue écrite, du b-a ba à la b.d., Paris, 1985, 184 p, Presses Universitaires de France, Isbn 2-13-039105-2 ;
LEON (Pierre Roger) : Phonétisme et prononciation du français, Paris, 1992, 192 p, pp. 75-76, Collection Faculté Linguistique, Isbn 2-09-190290-X ;
MAZAUX (Jean-Michel) et GUEGAN (Jacqueline) : " Cerveau, langage et lecture " in La lecture, tome 1, de la neurobiologie à la pédagogie, L’Harmattan, Paris, 1990, p. 219 ;
MAUFFREY (Annick) et COHEN (Isday) : Eléments pour une pédagogie différenciée, Paris, 1995, 231 p, collection Formation des enseignants. Professeurs des écoles ;
PEYTARD (Jean) et GENOUVRIER (Emile) : Linguistique et enseignement du français, Larousse, Paris, 1970, p. 42 ;
WEHRHEIM (Sylvia) et de VALS (Marie) : Apprentissage de la lecture : activité de l’intelligence, Toulous, 1976, 203 p, éditeur E. Privat, Collection Pragma.
Adresses Internet à consulter :
Université de Lausanne (UNIL) http://www.unil.ch/ling/phon/index.html (site très complet dédié à la phonétique) ;
Le Réseau des Observatoires locaux de la Lecture (R.O.L.L.) : (entre autres : évaluations sur la lecture au cycle 3, forum sur les pratiques pédagogiques).
ANNEXE
Remerciements : j’ai pu traiter les 3200 pages de ce corpus grâce à un programme en Cobol écrit pour la circonstance. Monsieur Maurice DANG, informaticien programmeur, a bien voulu m’aider à l’élaborer, le modifier, et le tester.
Titres des manuels de lecture étudiés :
Abracadalire (Hatier, Paris, 1996) ; Gafi (Nathan, Paris, 1992) ; Graphilettre (Magnard écoles, Paris) ; J’entends et je vois (Société Marocaine des Éditeurs Réunis, Rabat, 1990) ; Au fil des mots (Nathan, Paris, 1990), Daniel et Valérie (Nathan) ; La journée des Tout Petits (Méthode Boscher, Éditions Belin, Paris, 1984) ; Les cahiers Hatier, méthode pour apprendre à lire, Jeanine et Jean Guion, Paris, 1993) ; Lecture à croquer (Magnard, Paris) ; Ratus et ses amis (Hatier, Paris, 1994).
Textes ou auteurs du corpus :
Productions d’enfants : Le Lutin ; Noisette et petite plume.
Recettes de cuisine.
Contes et nouvelles : Barbe Bleue ; Cendrillon ; Chats et souris emménagent ; La Bergère et le ramoneur ; Grand ours ; Homo informaticus ; La cuisine de Muriel ; La légende de la nuit polaire ; La malle volante ; La marelle ; La petite fille et les allumettes ; La princesse de pierre ; La reine des neiges ; La rose qui guérit ; Le briquet ; Le chasseur solitaire ; Le diable et sa grand mère ; Le génie de la forêt ; Le lièvre et le grand génie de la brousse ; Le marabout vicieux ; Le mois de mars ; Le noël du Père Noël ; Le petit Chaperon rouge ; Le puits enchanté ; Le rêve de Tao ; Le rêve vendu ; Le rossignol ; Le sapin ; Lulu la luciole ; Peter Pan ; Sira et le sorcier ; Un papa qui avait le sens de l’humour ; Une mère peu ordinaire ; Voilà pourquoi l’eau de mer est salée.
Lexiques : Glottochronologie ; dictionnaire simplifié français pour l’Afrique.
Poésies : Apolinaire ; Baudelaire ; La Fontaine ; Hérédia ; Laforgue ; Rimbaud ; Verlaine.
Documentaires divers : Les aliments ; La chanson ; La civilisation rurale ; L’espace ; Les oiseaux ; La reproduction.
Romans : Arsène Lupin (La Cagliostro se fâche) ; Flaubert (Un coeur simple) ; Germinal ; La comédie humaine tome 1 ; Le Tour du monde en quatre-vingt jours ; Le château des Carpathes.
Histoires : Historiettes de Tallemant des Réaux.
Histoire : Déclaration des Droits de l’homme.
Réflexions : La Bruyère ; La Rochefoucault.
Théâtre : L’Avare ; La Thébaïde ; Alexandre ; Andromaque ; Les Plaideurs ; Britannicus ; Bérénice ; Bajazet ; Mithridate ; Iphigénie ; Phèdre ; Esther ; Athalie.