"LA CONNAISSANCE DU FONCTIONNEMENT
DES LANGUES MATERNELLES PEUT-ELLE CONTRIBUER À
L'ACQUISITION DU FRANÇAIS ?"
(Communication lors du Colloque International de l'A.G.E.F. - Association Gabonaise des enseignants de français - , les 26-27 mars 87 à Libreville)
INTRODUCTION
Avant tout, je voudrais attirer l'attention sur un fait tellement évident qu'il est très rarement abordé :
- en parlant des problèmes de langue, nous parlons en fait des locuteurs et de leurs problèmes ;
- en parlant des conflits linguistiques, nous parlons en fait des conflits sociaux.
Soulager les premiers, c'est soulager les seconds.
La difficulté de l'enseignement du français est réelle, et mon propos sera ici que cette difficulté, au GABON, relève en grande partie d'un phénomène de diglossie.
DÉVELOPPEMENT
1) L'utilisation de la langue maternelle par l'enseignant, à doses homéopathiques, a pour effet d'améliorer les relations entre l'enseignant et les élèves.
Cet apport psychologique, affectif, dans les relations humaines, entraîne une plus grande motivation pour le travail chez l'élève.
L'élève, en effet, quelle que soit son ethnie, est reconnaissant que l'on s'intéresse à sa langue maternelle, c'est-à-dire, en définitive, à lui-même.
À cela se greffe un intérêt intellectuel nouveau qui amène de nombreux élèves à réfléchir sur les rapports de la langue maternelle avec la langue française, et qui dit réflexion, dit travail, et donc progrès.
L'enseignant qui utilise la langue maternelle doit tenir compte de toutes les langues maternelles qu'il rencontre dans sa classe afin de faire tomber les barrières et les "mises en quarantaine" infligées par les élèves entre eux.
Pour y arriver, l'enseignant doit, à mon avis :
premièrement, montrer aux élèves l'origine commune des langues du Gabon ; les élèves se sentent ainsi inclus dans une grande famille linguistique. La conséquence est immédiate : chaque élève, quelle que soit sa langue d'origine, se reconnaît à travers les autres, et respecte ses camarades. La tolérance devient effective ;
deuxièmement, l'enseignant doit aussi expliciter et assainir la notion de dialecte. Ce terme, très dévalorisé, a pris dans la vie usuelle un sens péjoratif, et beaucoup d'élèves ressentent une honte à parler un dialecte ! Afin de revaloriser cette notion, il suffit de montrer par exemple la remarquable logique du système des classes dans les langues bantoues, et, parallèlement, rappeler que le français était lui-même, autrefois, un patois.
------------------- Cette prise de contact en début d'année scolaire ouvre à l'enseignant des voies royales : l'élève n'est plus passif, mais actif ; la classe n'est plus un ensemble hétérogène, plein de conflits, mais un ensemble uni -----------------------
2) C'est à partir de cet état d'esprit que l'enseignant peut s'occuper d'un problème très difficile : les variations de langue, dues à la diglossie.
Un état de langue, quel qu'il soit, oppose toujours (ou presque) de multiples variantes rivales. Pour s'exprimer, le locuteur hésite entre plusieurs solutions (choix d'un adjectif, d'une conjonction, ou même d'une structure syntaxique).
On parle alors de lectes concurrents, et le flou psycholinguistique dans lequel vit l'élève (opposition école / vie extérieure) provoque souvent des variations sémantiques, syntaxiques, et phonétiques, autrement dit autant de fautes qui ne demandent qu'à exister !
Ces variations sont le fait de facteurs internes et externes.
Les facteurs internes (c'est-à-dire internes à la langue) sont connus depuis longtemps : ce sont la simplicité, la régularité (ou analogie), et le rendement, autant d'incitations à déformer une langue, ou à en modifier une autre (par exemple, pour la régularité, l'élève calque le rythme paroxyton et proparoxyton de sa langue maternelle -accent sur l'avant dernière syllabe- sur le français, seule langue d'Europe à posséder le rythme oxyton ! -accent sur la dernière syllabe- ; on arrive systématiquement à des rythmes du genre :"il est: là" , ou encore "ma: mère", les deux points signifiant l'allongement de la voyelle précédente).
Dans ce cas, il est difficile à un élève de bien saisir le sens d'une phrase car en déplaçant l'accent, il déstructure la cohérence rythmique qui assurait une bonne découpe de la phrase.
Les facteurs externes, quant à eux, concernent l'influence sur la langue que peuvent avoir les domaines économiques, urbain, religieux, historique, etc.
La taxinomie reste ouverte.
Il revient alors à l'enseignant la charge de mettre en ordre ces facteurs internes et externes qui dérèglent... les règles.
Pour l'aider, le linguiste aura pour tâche de définir les stratégies générales.
L'enseignant contribuera de façon décisive à ce travail en compilant les fautes les plus fréquentes, rangées en catégories sémantiques, syntaxiques, et phonétique.
3) LES FACTEURS INTERNES
Je vais rapidement donner un aperçu de ces trois catégories, toujours dans l'optique d'un enseignement qui prend en compte la langue maternelle.
a) D'abord, la sémantique.
Les langues sont comme des enfants qui s'échangent des jouets. Le jouet qui brille le plus, ou celui qui est à portée de la main, est choisi à la place d'un autre.
Cet emprunt s'effectue le plus souvent sur les mots, réalités bien distinctes dans le discours. Ainsi, le français a emprunté aux langues africaines des mots comme boubou, daba, balafon... Le français se trouve enrichi ainsi d'un nouveau vocabulaire.
Mais tout emprunt n'est pas correctement effectué, et c'est là que la langue subit des outrages. On entend des expressions fautives du genre "il est gaspillé" pour un humain, "gagner" pour "avoir", "tu" pour "vous" et inversement...
Toutes ces fautes ne peuvent évidemment pas s'expliquer par l'existence d'une langue maternelle, mais, lorsque c'est le cas, il ne faut pas hésiter à expliciter à l'élève l'influence de la langue maternelle sur la langue française (par exemple, l'absence d'un morphème pour indiquer la personne de politesse en langue maternelle doit amener l'enseignant à s'attarder davantage sur les particularités d'emploi du "vous" en français, même s'il ne présente pas de difficulté pour un adulte francophone, car cette notion reste tout de même souvent obscure pour un élève qui ne la pratique pas couramment en français, et jamais en langue maternelle).
------------- À un niveau plus général, on s'attachera à la syntaxe, c'est-à-dire en fait à l'ordre des mots -------------------
b) la syntaxe
Beaucoup de fautes sont, là encore, le résultat d'une diglossie. La syntaxe est la partie du discours la plus longue à se transformer dans le cerveau de tout locuteur.
L'influence de la langue maternelle est alors très puissante dans les blocages lors de l'apprentissage du français.
S'il n'en reste pas moins vrai qu l'on retrouve au GABON des fautes de syntaxes identiques à celles que l'on trouve en FRANCE, nombre d'entre elles sont compréhensibles lorsqu'elles sont étudiées à partir de la langue maternelle.
Un simple exemple illustrera cette affirmation :
* "la femme que je parle d'elle"
ressemble étrangement à la structure de la langue maternelle :
"moukassa wou mè yambela ngou la ndè".
------------------ Immédiatement perceptibles, les variations phonétiques offrent également du travail à qui veut s'en occuper -------------------
c) la phonétique
Il faut rappeler que le but de l'enseignement primaire et secondaire est d'arriver non pas à un "bel usage", mais à un "bon usage".
Cela signifie avant tout que les élèves du primaire et du secondaire n'en sont pas à écrire comme Racine ou Victor Hugo, et qu'il faut les aider à d'abord s'exprimer correctement, à l'oral comme à l'écrit.
Ici, l'influence de la langue maternelle est flagrante : le "e" atone est prononcé "é" (*rémerciement, *appéler,...), "an" et "on" sont confondus (parce que la langue maternelle ne possède pas de voyelle nasale, l'oreille n'est pas entraînée à distinguer les deux).
Ces exemples (parmi tant d'autres) amènent certains élèves à de véritables casse-tête lors de dictées.
Là encore, la référence à la langue maternelle permet de montrer à l'élève pourquoi il se trompe, et l'aide ainsi à prendre conscience d'un phénomène phonétique auquel il va s'attacher pour le vaincre.
----------------- Ce bref aperçu des domaines d'étude linguistique appuyée sur la langue maternelle m'amène maintenant à parler des facteurs en dehors de la langue ---------------
4) LES FACTEURS EXTERNES
- a) Le facteur externe qui m'est apparu avec le plus de régularité est celui du prestige.
La langue française représente chez l'élève la condition d'accès à un statut social envié, et son utilisation permet au locuteur de s'approprier momentanément l'illusion d'un pouvoir.
On observe ainsi une surabondance de vocables recherchés et, surtout, des phrases longues et truffées de locutions conjonctives.
Cette attitude n'est pas nouvelle, et l'on parle depuis Molière de l'effet Diafoirus pour désigner le besoin de s'exprimer avec outrecuidance.
Au niveau de l'élève, la spontanéité (le bon usage) est enrayée par le souci du bien écrire (le bel usage).
L'hypercorrection engendre des formes incorrectes, et j'ai observé que ce sont les élèves qui sont les plus fiers de leur langue maternelle qui écrivent le plus simplement et le plus correctement la langue française.
J'ai fait faire un petit test. Les élèves devaient écrire trois lettres sur le même sujet : "Vous écrivez à un haut fonctionnaire pour le remercier d'un service", en langue française, puis en langue maternelle, et encore une fois en langue française.
Le résultat a été flagrant : la première lettre, en français, était compliquée, longue, avec un vocabulaire et des expressions surannées, des formules de politesse flagorneuses. La deuxième lettre, en langue maternelle, était au contraire assez brève, avec des phrases courtes. La troisième lettre, en français à nouveau, était cette fois simple, avec peu de fautes, un vocabulaire et des expressions d'un niveau courant, et des formules de politesse très sobres.
Le prestige, l'effet Diafoirus, avait disparu.
-------------------- La recherche d'une prestation avantageuse au niveau discursif reflète les problèmes sociaux de l'élève. Il s'agit à de la conséquence des catégories sociales différentes ---------------------
b) Les catégories sociales sont très importantes dans l'apprentissage scolaire. Cela concerne la profession du père et de la mère pour l'aspect matériel, mais l'aspect intellectuel concernant l'acquisition du français fait appel à une autre cause.
Cette cause est "l'utilisation à la maison de différentes langues".
L'enseignant peut aider le linguiste grâce à des questionnaires habituels indiquant le cas de figure de chaque élève :
utilisation à la maison : d'une langue vernaculaire seule ;
ou : d'une langue vernaculaire + le français ;
ou : du français + une langue vernaculaire ;
ou : de plusieurs langues vernaculaires + le français.
Ce genre d'enquête peut se présenter sous forme de représentations tabulaires qui seront utilisées par le linguiste pour faire des recoupements entre la fréquence des fautes par catégories linguistiques et les situations linguistiques à la maison.
De cette façon, grâce à la collaboration de l'enseignant, le linguiste pourra étudier les variations linguistiques en tenant compte des facteurs externes et de l'environnement "vernaculaire" des élèves.
--------------------- La pédagogie scolaire deviendra alors une pédagogie humaine, appuyée sur les réalités. Jusqu'à présent, à ma connaissance, les ouvrages didactiques, les manuels scolaires et les ‘livres du professeur' s'occupent du "bien parler", mais pas du "pourquoi on fait des fautes".
Tant qu'on ne s'occupera pas des causes, les fautes reviendront inlassablement.
L'enseignement est encore aujourd'hui fondé sur le principe de la répétition et de la correction. Certains linguistes proposent d'élaborer une grammaire des fautes pour comprendre le fonctionnement psycho-mécanique des locuteurs.
J'aimerais, pour ma part, élaborer une grammaire des fautes afin de mettre en place une stratégie véritable d'enseignement -------------------------
5) Que faut-il entendre par GRAMMAIRE DES FAUTES ?
Avant tout, il s'agit d'inventorier les fautes commises par les élèves.
Cet inventaire doit posséder les indications suivantes : l'âge, la classe, la langue maternelle de l'élève d'une part, et les écarts morphologiques, syntaxiques et lexicaux d'autre part.
Ces écarts peuvent être donnés en pourcentages, et chaque catégorie d'écart doit comporter des exemples précis relevés sur les copies, ou encore entendus par l'enseignant.
En second lieu, et c'est le travail du linguistique, cet inventaire sera utilisé pour expliquer les fautes, c'est-à-dire montrer comment l'élève a pu arriver à commettre un écart à la norme.
a) L'explication des fautes par les facteurs internes.
Pour illustrer cette idée de grammaire des fautes, je prendrai un exemple lexical, un exemple phonétique, et un exemple syntaxique.
Au niveau lexical, en ndjabi, il y a moins d'une dizaine d'adjectifs qualificatifs (dont la traduction française est : bon, mauvais, grand, petit, long, court, entier, cru). On utilise, pour le reste, des substantifs qui servent d'adjectifs, ou même des verbes à fonction adjectivale.
Il n'est donc pas étonnant de remarquer une propension à substantiver les adjectifs de langue française en leur accolant un déterminant :
* "le content", c'est "celui qui est content", * "le cassé", c'est "le nakko qui est cassé" (ces deux exemples ont été relevés à l'oral).
La méthode classique est celle où l'enseignant dit à l'élève : " ‘cassé' est un participe passé employé comme adjectif. Il doit être employé avec le nom qu'il qualifie".
La méthode que je préconise, en plus de la méthode classique (et non pas à la place), consiste à faire remarquer à l'élève que dans sa langue maternelle le nom a la même valeur, le même emploi, que l'adjectif. Avec un exemple approprié, l'élève se rend compte que sa langue est essentiellement nominale.
La réaction est alors une plus grande attention lorsqu'il utilise un adjectif. Autrement dit, l'élève devient son propre correcteur.
Au niveau phonétique, j'ai longtemps rabâché à mes élèves qu'il ne faut pas dire [e] mais [ø] (en exagérant, [øl ] et non [e ], [amøne] et non [amene], pour "relais" et "amener", etc.).
Continuellement, ils trouvaient toujours un mot auquel ils remplaçaient [ø] par [e].
Je me suis décidé un jour à leur expliquer pourquoi ils prononçaient ainsi, et leur ai montré que dans leur langue maternelle le [e] s'impose dans tous les cas. Depuis, ils se corrigent systématiquement, et très rares sont les fautes de ce genre.
Au niveau syntaxique, nous avons vu :
* "la femme que je parle d'elle"
comme la traduction de la langue maternelle en langue française. En montrant ce calque à l'élève, celui-ci s'aperçoit du "pourquoi" de l'erreur. On a ici :
* "la femme que je parle d'elle" (a)
* "la femme que de elle je parle" (b)
* "la femme dont je parle" (c)
Les structures (a) et (b) existent en langue maternelle, mais non (c).
En français standard, (a) et (b) n'existent pas, mais (c) est la forme correcte. Le calque est ici facilement décelable.
Toutefois, il est évident que s'il n'y a pas calque, la "faute" n'entre pas dans le domaine de la "mécanique comparative".
---------------- La grammaire des fautes trouve aussi ses justifications dans les facteurs externes -----------------------
b) Explication des fautes par les facteurs externes
Mon idée est toujours que, du moment où les fautes sont provoquées par des facteurs internes ou externes, c'est par les facteurs internes ou externes qu'elles doivent être expliquées et combattues.
Voici deux exemples :
- Le facteur externe dont il est question est le prestige.
Une faute revenait régulièrement dans les devoirs où l'élève devait s'adresser à une personne de haut niveau social. L'élève (en réalité plusieurs élèves) avait une idée directrice : paraître bien élevé devant le destinataire de la lettre. La personne de politesse, symbolisée par le morphème suffixé "ez", s'est substituée aux terminaisons du participe passé. J'ai pu relever : * "...que je garderez, pour vous remerciez, vous avez portez...". Cela démontrait que l'élève attachait plus d'importance à la catégorie sociale qu'à la catégorie grammaticale !
- Les titres honorifiques sont, dans les pays africains, d'une grande importance, et leur référent (la personne qu'ils désignent) est confondue avec eux.
Ainsi, cette confusion entre le titre et la personne amène à des formules incorrectes du genre * "auprès de votre haute bienveillance".
L'enseignant doit dans ce cas montrer à l'élève la raison qui l'a conduit à cette faute, c'est-à-dire, ici, la rection d'un terme "concret" après la locution adverbiale "auprès de". En termes plus simples, le fait de croire que "haute bienveillance" est une personne (il n'y a pas en ndjabi par exemple d'expression de ce genre) amène l'élève à utiliser "auprès de". Ici, la référence à la coutume linguistique qui consiste à personnifier en langue maternelle un titre honorifique permet de faire comprendre à l'élève son erreur.
c) Synthèse
Ces exemples d'explication des fautes montrent que des fautes ne sont pas le seul fait d'une incompétence ou d'une insuffisance intellectuelle de l'élève.
Souvent, il s'agit seulement d'influences internes à la langue, et il faut alors expliquer à l'élève ce qui s'est probablement passé dans sa tête, c'est-à-dire les mécanismes psycho-linguistiques qui ont provoqué la faute.
Souvent, également, il s'agit d'influences externes à la langue, et là encore il faut expliquer à l'élève ce qui a provoqué l'erreur, quand c'est possible.
Je précise en passant que l'influence de la langue maternelle est, dans le cas de la diglossie, un facteur interne ou externe, suivant l'origine de la faute.
--------------------- Toutes les descriptions et explications qui seront faites grâce à la collaboration de l'enseignant et du linguiste doivent amener ce dernier à l'élaboration de lois ------------------
d) L'établissement de lois
Si l'enseignant établit une taxinomie des fautes (c'est la description), le linguiste doit alors s'affairer à une double tâche :
- une explication des fautes à l'aide des facteurs internes et externes ;
- une constitution de lois prédictibles, à usage direct dans l'enseignement.
Je pense que la difficulté d'apprentissage du français est directement proportionnelle au nombre des différences dialectales.
À partir de cette hypothèse qui n'a rien d'arbitraire, il convient d'examiner les conditions d'apprentissage du français avec un regard plus réaliste.
L'élève gabonais n'est pas une pierre dans laquelle on peut graver à coups répétés les règles du français. L'élève gabonais est un gosse la plupart du temps tiraillé par l'insécurité linguistique. Avant de pouvoir implanter dans son esprit les règles de la langue française, il faut mettre un peu d'ordre dans les mécanismes plus ou moins (in)conscients qui régissent sa langue maternelle.
En effet, j'insiste sur le rôle capital de la diglossie dans les difficultés d'apprentissage du français.
Le remède que je propose est de passer de la diglossie au bilinguisme.
Les calques syntaxiques encore très fréquents à l'oral, par exemple
* "tu dis comment ?" pour "que dis-tu ?"
calqué sur "wè lèlè bouni ?" de structure Sujet+Verbe+Complément sont présents aussi à l'écrit, et résultent d'un amalgame désordonné de règles de construction de la langue maternelle avec les règles de construction de la langue française.
De la même manière, la diglossie est à l'origine (d'après mes observations sur le terrain) du retard dans l'acquisition du français à l'école primaire.
Les élèves entre eux parlent la langue maternelle, mais les situations de communication variées les obligent, à tout moment, à changer de langue.
6) CONSTITUTION DE DICTIONNAIRES
Au niveau du vocabulaire, les élèves acquièrent ainsi un retard très important.
Pour lutter contre cette carence, il serait bon d'établir des dictionnaires bilingues à l'usage des élèves. Ce travail de lexicographie et de lexicologie devrait couvrir peu à peu tout le territoire gabonais.
Chaque élève, ayant alors accès à une source d'enrichissement lexical, à un âge où cette acquisition est extrêmement importante, pourra trouver une sécurité linguistique pour deux raisons :
- d'abord, et surtout, l'accès de son dialecte à la publication officielle lui donnera une fierté et une légitimité qui lui manquait ;
- ensuite, l'équivalent sémantique exact d'un mot de sa langue en français, et inversement, lui assurera une sécurité linguistique qu'il n'aura jamais eue jusque là.
La constitution de dictionnaires bilingues sera possible par la collaboration de l'enseignant et du linguiste, car il s'agit de dictionnaires qui répondront à des exigences de travail rigoureuses.
Par exemple, chaque mot doit passer aux tests de rection sémantique, de fonction syntaxique, et d'analyse componentielle, afin d'offrir à l'élève un ouvrage digne de foi.
Pour parenthèse, je crois que l'analyse componentielle (c'est-à-dire en traits distinctifs) pourrait même figurer pour chaque mot dans la version définitive de chaque dictionnaire.
---------------------- CONCLUSION -----------------------
La langue n'est pas une fin en soi, mais un moyen. Pour cette raison, j'aimerais rappeler que l'acquisition du français n'est pas une fantaisie ou un simple divertissement, mais, en grande partie, le moyen de réussir. Au-delà du problème de la réussite de l'apprentissage de la langue se pose le problème parfois tragique de l'apprentissage de la vie.
Pour conclure, je voudrais préciser qu'une telle étude sociolinguistique débouche nécessairement sur une politique linguistique, une planification linguistique.
Mon idée est de créer une standardisation de chaque famille linguistique en réduisant peu à peu, grâce aux dictionnaires bilingues, les différences dialectales négligeables et encombrantes.
Cela aura deux conséquences :
- uniformiser l'enseignement (c'est-à-dire, en définitive, diminuer les conflits linguistiques) ; l'enseignant se trouve alors confronté à une langue maternelle standardisée, et une grammaire des fautes devient encore plus efficace ;
- diminuer les antagonismes ethno-linguistiques (les locuteurs conscients de la parenté très étroite de leurs différentes langues auront davantage le sentiment d'une communauté élargie et unie).
L'équilibre social peut être fortifié par l'unification linguistique.
Enfin, pour répondre à la question "La connaissance du fonctionnement des langues maternelles peut-elle contribuer à l'acquisition du français ?", je dirai ceci :
à cheval sur deux langues (parfois plus), l'élève rejette l'une, imposée par l'environnement familial mais déconsidérée statutairement, et l'autre, imposée par la norme officielle, mais difficile car seconde.
On assiste systématiquement à une diglossie, flagrante dans les joutes verbales.
Afin d'arriver à un véritable bilinguisme qui ne laisserait plus l'élève stagner entre deux langues (car l'élève deviendrait alors conscient de son identité et de ses deux paroles), il serait nécessaire et opportun de passer, au GABON, à un enseignement fondé ouvertement sur les deux langues.